[LOST] Whatever it takes ϟ Nora

Jour 5. Le sang avait filé dans ses veines, frappant ses tempes d'un élan furieux. Le poing était parti, si vite. Le baiser aussi. Caïn ne sait pas ce qui lui est passé par la tête. Pourtant, à chaque fois qu'il y pense, ses doigts se crispent en un poing, s'en faisant mal aux jointures. Son regard est bombardé de boules de feu, la colère lui rongeant l'âme. Il n'a que faire de ce baiser, pourrait le justifier, embobiner sa sœur une énième fois. Mais il en est incapable pour le moment. A chaque fois que son regard croise le sien, il n'a pas le temps de prononcer le moindre mot qu'elle fuit, loin de lui. Il sait ce qu'elle pense. Il lit la détresse qui l'habite. Heureusement. Heureusement qu'elle n'est pas là pour défier son regard, ne reste pas l'ombre de quelques secondes pour apercevoir le visage de l'homme se transformer en un masque glacial. Elle s'en trouverait meurtrie. Elle penserait que c'est elle le problème. Et c'est elle.

S'échinant au travail, aidant tantôt l'un à monter sa tente, tantôt l'autre à couper du bois, Caïn fait tout pour chasser de son esprit ces éternels fantômes. Ils le harassent sans fin, lui donnant envie de frapper le premier venu. Et tout ce qui passe à vrai dire. Elle ne se rend pas bien compte. Elle n'a pas seulement conscience de ce qui aurait pu se passer. Et la formulation même lui donne la nausée, l'envie de tout foutre en l'air. Il n'avait jamais ressenti auparavant tant de haine envers le monde. Tant de reconnaissance, aussi. Il tentait d'éviter l'idiot qui avait failli lui enlever cet être cher. Il fallait qu'il l'évite. A tout prix. Mais s'il y avait bien une personne à qui il en voulait ici, c'était lui. Il s'en voulait de n'être resté, de n'avoir pu empêcher ce binôme. Ah oui? Et où est-elle maintenant? Il n'en savait rien. Retour à la case départ.

Il s'en voulait de ne pas être là pour la protéger, et pourtant la colère l'empêchait de rester à ses côtés. Comme une querelle par la pensée, il la noyait dans l'acceptation de cette ignorance, ce manque de communication entre eux. Si elle savait.. Si elle pouvait s'introduire une seule seconde dans son esprit. Sans doute aurait-elle peur, oh oui, de toutes ces pensées noires, parfois malsaines, d'amour et de haine tourbillonnant entre elles. Mais elle ne la surpasserait jamais. Sa peur, à lui. La peur de la perdre. Elle pouvait avoir l'homme qu'il lui chante: il continuerait à se faire un plaisir de l'évincer. Mais sa vie, elle n'avait en aucun cas le droit de décision dessus. Personne. Et si elle s'était éteinte, ce jour-là? C'était si égoïste. Il n'était rien sans sa sœur, rien qu'une coquille vide. Et alors qu'il tentait d'échapper à cette sensation de peur, il leva la hache et l'abaissa brutalement, scindant en deux la petite bûche de bois. Évacuer. Il avait besoin d'évacuer.

Nora a déjà fait la gueule à son frère, plusieurs fois, mais c'est la première fois que ça dure aussi longtemps. D'autant plus qu'il serait facile de faire mine de tout oublier et de tout pardonner sachant qu'ils sont piégés au même endroit qu'ils le veuillent ou non. Sauf que ce n'est pas si simple. Pour oublier et pardonner, il faudrait déjà qu'elle parvienne à regarder Caïn dans les yeux plus de deux secondes et en cinq jours, ça a été totalement impossible pour elle. Lui parler n'a pas été possible non plus, parce qu'elle n'a pas vraiment envie de le faire, par peur, mais aussi parce qu'elle ne sait pas quoi lui dire. Donc, Nora se planque du mieux qu'elle peut, sachant pertinemment que sinon, le paternel pourrait lui demander de faire quelque chose en binôme avec son frère, ce qui, actuellement, n'est pas possible. En prévision d'un forcing possible, la brune se dit qu'elle ferait mieux de prendre les devants par elle-même quitte à attiser le feu et se brûler. C'est pour ça que quelques heures plus tard, Nora se surprend elle-même en allant trouver Caïn.

Nora s'approche lentement, prête à faire marche arrière à tout moment. Sauf qu'elle continue d'avancer malgré son instinct qui lui crie de faire l'inverse. De toute façon, ils seront obligés de se reparler un jour et il vaut mieux remettre les choses au clair. Peut-être qu'elle veut juste qu'il la rassure en trouvant une excuse, putain, même la raison la plus bancale fera l'affaire pour justifier ce baiser. Caïn ne peut pas éclater la bulle de déni dans laquelle Nora s'est enveloppée au fil du temps d'un coup, comme ça. Elle prend une grande inspiration, les bras croisés sous sa poitrine, s'arrêtant en face de son frère qui semble passer ses nerfs sur des bûches de bois. « Faut qu'on parle, Caïn. » La brune ne lui laisse pas vraiment le choix et pour la première fois en plusieurs jours, elle vient croiser son regard plus de deux secondes. Certains tics nerveux viennent pourtant trahir le ton déterminé de sa voix, comme son pied qui tape le sol et ses dents qui mordent l'intérieur de sa joue. Sûre de vouloir lui parler ? Plus vraiment.

Ses pupilles s'accrochent sans que le brun ne la voit vraiment. A travers ses iris, il ne voit que cette même scène, qui se projette comme un film dans son crâne, ressassant la même violence, les mêmes craintes. La silhouette fragile s'avance alors, doucement, fait un pas vers l'être qui la harponne d'un regard glacial. Le froid brûle comme un incendie et y succombent ces mots qui sûrement se voulaient déterminés. Il n'en ressort qu'une pâle demande de conversation, un frêle ordre dont les tics de la brune viennent saper la crédibilité. Parler. Exactement ce que Caïn voulait éviter. Mettre des mots pour englober ces sentiments qui le harassent, le terrassent. Mettre des mots pour combler le vide, tenter de relier ces deux falaises qui se contemplent, sans pouvoir tendre la main. Et quand bien même, cette main semble fausse, désuète de toute envie de renouer ce qui s'était brisé.

L'homme la regarde et finit par ouvrir les lèvres dénuées de tout sourire. « Je suis occupé. » finit-il par lâcher, cliquetis mécanique d'une langue qui retient bien de dissonances, qui cache bien du venin. Pas pour elle. Pas maintenant. Il n'avait pas envie de parler, pas besoin de le faire. Il ne voulait pas trahir ces sentiments qu'étaient les siens, pas découvrir cette faiblesse à son regard à elle. Il détourne le regard, terminant de l'assaillir de violences muettes, et reprend position. Il avait besoin d'évacuer. Mais il n'était pas bien sûr de pouvoir contrôler ces envies, pulsions et violentes émotions devant elle. Pas encore. Lentement, il avait besoin de temps pour revêtir son costume de marbre, de celui que rien n'atteint pour cacher le monstre qui grandissait au fond de sa poitrine. Elle n'avait pas besoin de le voir. Elle n'avait nul besoin de savoir.

Nora aurait mieux fait de s'abstenir, elle le comprend quand son regard croise celui de Caïn. Pas comme d'habitude, ça non, il l'assassine avec un regard glacial. Sa sœur en est figée sur place, heureusement qu'elle a pris la parole avant de lever les yeux vers lui, sinon, elle n'aurait dit mot, serait sûrement restée bloquée face à lui. D'ailleurs, elle baisse la tête, blessée, parce qu'elle ne comprend pas pourquoi il la regarde comme ça. Nora ne comprend pas pourquoi il est si froid envers elle. Est-ce parce qu'elle l'a évité ces derniers jours ? Est-ce qu'il lui en veut parce qu'elle est partie avec Aidan ce jour-là ? Mieux encore, a-t-elle réellement envie de connaître la raison de sa colère ? Probablement pas. Et la réponse de Caïn lui fait l'effet d'une gifle alors qu'elle revient chercher son regard, les sourcils froncés. Non, elle ne comprend vraiment pas pourquoi il réagit comme ça.

« Pourquoi est-ce qu'on dirait que c'est toi qui m'en veux ? » La question quitte ses lèvres avec une once de colère dans sa voix. Déjà, elle est venue vers lui, alors qu'elle ne sait même pas si elle était prête pour le faire. Même si en réalité, elle ne l'était tout simplement pas. Aussi, Nora a les nerfs à vif depuis qu'il l'a embrassé en la laissant planté. Alors oui, son seul moyen de défense, c'est l'attaque. Sauf qu'elle en a marre d'être en colère, marre aussi d'être perdue. « Je t'ai rien fait, Caïn. » Dit-elle, plus abattue qu'autre chose. Nora se sent rejetée injustement. Elle aurait mieux fait de continuer de l'éviter, de faire comme s'il n'existait pas, mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Au fond, son frère lui manque. Le forcer n'est pourtant pas la solution et elle le sait très bien. Nora secoue la tête, déçue. « Désolée de t'avoir dérangé. » Une légère touche de sarcasme dans la voix et la brune est déjà prête à rebrousser chemin.

Il n'en peut plus de ces images, cette culpabilité qui le hante, le taraude. Il a l'impression d'étouffer. Et quand il la regarde, elle et sa peau porcelaine, elle et ses yeux de biche, ses lèvres si parfaites, il ne voit plus que lui. Lui, et son air d'abruti devant une sœur décidément morte, des lèvres scellées à jamais. Et cette pensée le met hors de lui. Elle ne peut pas savoir. Elle ne peut pas comprendre. C'est ce que se dit Caïn alors qu'il tente d'abréger la conversation, voulant protéger malgré tout. La protéger de lui. Et à elle, cygne définitivement perdu, de le cherche un peu plus. Ne comprend-t-elle pas que ce n'est pas raisonnable de lui parler dans cet état? Il serre les dents, et abat sa hache, conscient du regard dépassé que lui porte sa sœur. Les mèches brunes virevoltent alors que la tension s'évapore. Physique uniquement, à son grand dam. Car si ses muscles ont été relâchés, il n'en est rien de cette boule de rage grandissant au fond de sa poitrine. « Je t'ai rien fait, Caïn. » lâche-t-elle, presque moralisatrice. Contrôles-toi, se répète-t-il. Des mots qui semblent bien faibles alors qu'elle ironise, entamant de tirer sa révérence. Et elle croit pouvoir s'en tirer comme ça? Venir lui faire la morale, lui dire que c'est de sa faute et repartir comme si de rien n'était?

Les doigts se décrispent du manche pour venir en un bond se saisir du bras de l'insolente, la tirant à lui. Il voit à son regard étonné, presque apeuré qu'il l'a surprise, qu'il lui fait mal, sans doute. « Tu n'as rien fait? » souffle-t-il, redressant les mèches de cheveux tombées. Il sourit, l'air mauvais, riant jaune de ce qu'il admet être une blague. Et ses doigts serrent un peu plus fort le bras porcelaine, virant doucement au rouge. « C'est ce que tu penses vraiment? » lâche-t-il, beaucoup moins rieur. Vrillant les iris nacrés de son regard charbon, il sait qu'il abuse. Il l'a toujours fait. Abuser de sa gentillesse, de sa naïveté, de la proximité de leur espace de vie. Caïn abuse sur tout et pour tout avec elle. Il sait, et pourtant, il va toujours plus loin. Jusqu'où s'arrêteront-ils? Jusqu'où iront-ils avant qu'il ne puisse plus se contrôler, qu'elle refuse de l'excuser? Peut-être aujourd'hui, à cet instant même. Il secoue la tête, la mâchoire crispée. Non, elle ne peut pas comprendre. Et il n'est pas sûr de pouvoir le lui dire. C'est trop tôt. C'est trop tard.

Un mur ou, mieux encore, un glacier, c'est ce que Nora a en face d'elle. Elle connaît suffisamment son frère pour savoir que ça ne sert à rien d'essayer de parler avec lui quand il est dans cet état. Pourtant, elle aimerait comprendre, savoir ce qui l'amène à agir comme ça envers elle. Pousser maintenant n'est pas la solution et c'est pour ça qu'elle décide de le laisser, puisque c'est ce qu'il veut. Tandis qu'elle s'apprête à le laisser couper son bois, il semblerait que Caïn ne soit plus vraiment d'accord avec ce départ rapide. Le bras de Nora se retrouve empoigné par l'enragé. Sourcils froncés par l'incompréhension face à ce nouveau revirement de situation, la plus jeune vient chercher le regard de son aîné pour lui faire comprendre de la lâcher. Sauf que Caïn semble encore plus en colère que précédemment, laissant Nora baigner dans l'incompréhension la plus totale face à une réaction qu'elle arrive de moins en moins à saisir. Il rit jaune, se moque des paroles précédentes de la brune. Puis serre encore plus son bras quand il lui demande de confirmer ses propos, le regard sombre.

Le pire ? C'est certainement que Nora se remet en question immédiatement. Même quand sa main tente de dégager celle de Caïn. « Lâche-moi. » Ordre qui sonne bien trop faible, parce qu'elle réfléchit encore, la petite, cherchant à se justifier sans savoir pourquoi. Elle veut trouver la solution pour qu'il arrête enfin de la regarder comme ça. « C'est parce que je suis partie avec Aidan ce jour-là ? » Peut-être fait-elle une erreur en osant même l'appeler par son prénom en la présence de son frère, mais tant pis. Nora veut savoir, quitte à lui poser des questions, vu qu'il ne sait visiblement pas lui dire la cause de cette haine. Et alors qu'elle se remet en question, Nora s'agace, parce qu'elle aussi, elle a des choses à lui reprocher. Elle aussi, elle lui en veut. Et vu qu'il ne l'a pas encore relâché, la brune vient le pousser, énervée à son tour de devoir être la seule à chercher une solution. « Si j't'ai fait quelque chose, Caïn, j'suis désolée. Mais toi, alors, tu te crois irréprochable ? » Lâche-t-elle, le poussant à nouveau, se rappelant pourquoi il vaut mieux parler des choses qui ne vont pas immédiatement au lieu d'attendre. « Pourquoi est-ce que tu m'as embrassé ? » La question qui la hante depuis des jours quitte enfin ses lèvres, son regard ancré dans celui de son frère, le seul coupable de cette accusation. Nora arrête de bouger, prête à subir le courroux du brun quitte à avoir un semblant d'explication.

Elle tente de lui donner des ordres, pauvre injonction de papillon. Elle tente de le faire lâcher prise, sans savoir que plus elle se débattra, plus il l'emprisonnera, véritable filet du Diable. Elle tente de mettre un doigt dessus, frôle la réponse, sans succès. Seul son nom sort, surgissant comme un cafard de sous un meuble. Aidan. Un prénom qu'il avait tenté d'oublier, ne plus prononcer. Un visage qui lui donnait envie de cogner. Non, ce n'était pas cet idiot qui l'exécrait, bien qu'il soit en partie fautif. Elle le pousse alors, sans grand effet. Et s'il n'était pas si remonté, il se moquerait bien de cette tentative. Elle le pousse alors une seconde fois, lui balançant qu'il n'est pas non plus irréprochable. A quoi le jeune homme répond en lui saisissant le poignet, immobilisant ses deux bras. Mais le geste s'avère désuet lorsque le boulet de canon le frappe en pleine poitrine. Véritable gifle, il aurait presque oublié ce pourquoi sa sœur l'évitait lui. Et il la lâche aussitôt le baiser évoqué, comme une douche froide, le rinçant un peu plus de culpabilité.

Plus choqué qu'en colère, ne sachant plus quoi dire pour se sortir d'affaire, Caïn avait envie de reculer. Repartir d'où il venait, oublier cette conversation, ce regard qui attendait plus d'explications qu'il ne serait bon d'en fournir. Pourquoi. Une bien bonne question..dont la brune n'aurait pas la réponse ce jour. Tout juste une esquisse. Le regard dur, mais moins venimeux, il choisit alors bien ses mots. « Je ne t'en veux pas de côtoyer des imbéciles. » entame-t-il. « Si je t'en veux, c'est parce que ces imbéciles finissent par te mettre en danger. A chaque fois. » insiste-t-il. Certes, peut-être que c'était de façon plus minime quand ils étaient chez eux, mais Caïn arrivait toujours à trouver des exemples où ses copains n'avaient pas fait ce qu'il fallait. Cela dépendait du gars. Malgré tout, la beauté et l'amour dont sa sœur pouvait faire preuve attirait les hommes comme le Soleil. « Qu'est-ce que tu aurais fait à ma place? Qu'est-ce que tu aurais fait, si je n'étais pas arrivé à temps, si je n'avais pas trouvé d'arme? » la questionne-t-il alors, doucement, mais durement. Son regard se veut presque moralisateur, préférant enfiler la veste du grand frère que de l'amoureux éperdu. Et maintenant, se rendait-elle un peu mieux compte? Ses dents étaient serrées, mais les flammes de son regard elles, avaient laissé place aux questions, à la douleur. Qu'aurait-elle fait? Rien. Elle serait morte.

Pendant un moment, Nora se dit que ça ne sert à rien, de chercher d'où vient la rage de Caïn, que ça ne sert à rien non plus de le repousser, ni d'essayer de savoir quoique ce soit. Elle devrait avoir compris au moins une chose, il ne répondra qu'à ce qu'il voudra répondre et ne la relâchera que quand il l'aura décidé. Peut-être quand il estimera qu'elle aura compris la leçon, telle une enfant qu'il faut réprimander pour qu'elle évite de recommencer ses bêtises. D'ailleurs, la deuxième fois qu'elle tente de le repousser, il lui attrape son bras libre et là voilà coincée. Maintenant, elle a encore plus envie de le frapper, de faire sortir toutes les émotions qu'elle a si bien su garder au fond d'elle ces derniers jours. Mais il n'y a qu'une seule chose qui ressort de toutes ces envies, une seule chose qu'elle voudrait vraiment comprendre. Pourquoi. Question simple. Et quand Caïn entend ça, il la relâche enfin. Nora vient poser sa main à l'endroit où il l'avait capturé en premier lieu, frottant un peu pour atténuer la douleur, attendant maintenant la réponse fatidique.

Sauf que quand son frère ouvre à nouveau la bouche, ce n'est pas avec des justifications. Non, mais il lui fait comprendre pourquoi il lui en voulait, lui, ces derniers jours. Et tant mieux, elle est contente de le savoir, au moins, il se justifie pour quelque chose. Nora entend bien les reproches qu'il lui fait, elle devrait être habituée à les entendre, aurait même dû comprendre tout de suite. Il vient ensuite lui poser des questions à son tour et la brune baisse la tête. Il a au moins raison sur un point : s'il n'avait pas été là, elle ne serait plus là non plus. « Je suis désolée, Caïn. Sans toi, je serais morte. » Lui répond-t-elle, sincère en le regardant dans les yeux. Que pouvait-elle lui dire d'autre ? Qu'elle ne recommencerait plus ? Ce serait certainement un mensonge, alors elle préfère s'abstenir. « Mais t'as toujours pas répondu à ma question. » Non, malgré tout ce qu'il vient de dire, elle n'a pas oublié ce détail. Détail qui la ronge depuis des jours. « Parce que j'ai beau envisagé toutes les possibilités et je comprends toujours pas. » Nora n'a pas osé en parler depuis, mais maintenant que c'est Caïn en face d'elle, elle en a besoin. Elle ne veut pas rester comme ça. « S'il l'avait dit à quelqu'un ? » Certes, Aidan ne l'a pas fait, mais il aurait très bien pu. Nora essaie tant bien que mal de forcer son frère à lui donner une once de réponse, quelque chose, n'importe quoi, pour calmer ce torrent d'émotions qui n'a pas eu de répit depuis.

Et finalement ils se prononcent, les mots salvateurs. Elle serait morte. Le son tinte dans ses oreilles tel un doux fracas. Il fait plus mal à entendre qu'à penser. Là, prononcé de ses lèvres, avec ce regard compréhensif, il a l'impression d'avoir mal agi. Il n'aurait pas du la pousser. Il aurait la laisser dans l'incompréhension. Pour mieux se cacher, lui, et ses pauvres sentiments. Il détourne le regard, ne pouvant soutenir le sien. Il avait envie de la serrer dans ses bras, lui murmurer que ce n'est rien, ce n'est pas grave, la consoler. Il ne pouvait cependant la consoler de lui-même. Car l'homme qui lui fait du tord aujourd'hui, qui lui a donné ce regard triste, c'est bien lui. Alors, ne pouvant assumer, il plante ses pupilles ailleurs, dans le vert venimeux de cet jungle infernale. Bien vite pourtant, les remords semblent chassés par les interrogations. Revenant à la charge, la brune ne démord pas de l'affaire. Et la flamme se rallume dans le regard qui paraissait, un instant, trop faible. « Et je n'y répondrais pas. » gronde l'homme. La réponse claque comme un coup de fouet, le regard noir la foudroyant de nouveau alors que Caïn s'avance, l'écarte d'un léger coup d'épaule pour prendre le chemin du camp. Sa sœur ne s'arrête toujours pas, osant cette fois une question. Si Aidan l'avait répété. S'il avait dit à tous que le frère et la sœur s'étaient embrassés. Cette question en soulève bien d'autres, questions auxquelles lui était prêt, depuis bien longtemps. Pas elle. Peut-être ne le serait-elle jamais.

Il ravale donc ses désirs malsains, brûlants pour tenter de lui servir une vérité qui lui conviendrait. Qui leur conviendrait tous. Sauf lui. « Il ne l'a pas dit, Nora. » tonne l'homme, la voix presque lasse. Se tournant de nouveau vers elle, il daigne lui répondre: « Et de toute façon, qu'aurait-il dit? Que de peur de l'avoir perdue, un frère avait embrassé sa sœur après avoir frappé celui dont c'était la faute? Que sous l'impulsion du moment, il l'a prise dans ses bras sans réfléchir à la situation? » Il sourit, bien que son cœur ai du mal à digérer autant d'informations balancées avec nonchalance. De peur de l'avoir perdue. Si elle savait à quel point l'angoisse l'avait fait paraître faible, à quel point la peur avait envahi son être, infestant de son odeur nauséabonde ses narines, emplissant sa gorge jusqu'à accélérer les battements de son palpitant. « Dans certaines familles françaises, toute la famille s'embrasse plutôt que se faire la bise, ou se serrer la main. Tu sais que je ne l'ai pas voulu, alors ne fais pas l'enfant. » l'infantilisant, réduisant son problème en poussière en comparaison au sien, il tentait de minimiser la fougue de l'instant. Une erreur. Terrible. Et quand il y repense, l'ardeur qu'il y avait mis n'était pourtant pas trompeuse. Lui ne s'y trompait pas, mais était bien décidé à la leurrer. Et si elle n'était pas entièrement convaincue, il la convaincrait au fil des jours...s'il arrivait à se défaire du souvenir de ses lèvres contre les siennes.

Nora n'a pas l'impression d'exagérer avec ses questions, elle n'a pas l'impression de trop lui en demander. Ce ne sont pas de grandes justifications qu'elle lui demande, elle veut juste une explication. Aussi brève soit-elle, elle saura s'en contenter. Pourtant, à l'instant même où elle revient sur le sujet, Caïn se ferme, déjà prêt à repartir, la bousculant sur son passage. Nora, quant à elle, préfère rager à l'intérieur, posant ses questions plus ou moins calmement, même si elle semble peut-être un peu désespérée d'obtenir une réponse. Il n'y répondra pas ? Nora bouillonne, mais se contient, se retient d'en venir aux mains pour le forcer. Ça ne servirait à rien. Tout ce qu'elle fait ne sert à rien. Si seulement elle acceptait l'évidence. Cependant, il arrête de la fuir quand elle demande en d'autres termes ce qui se serait passé si Aidan avait parlé. Réponse évidence du brun : il ne l'a pas dit. Certes, mais ce n'est pas grâce à Caïn et qu'est-ce qu'il aurait fait si ça avait été le cas ?

Nora s'accroche aux images que lui offre Caïn. L'histoire qu'il aurait raconté, c'est ça ? Nora écoute et a envie de le contredire à chaque fin de phrase. De le secouer, de lui faire comprendre que non, tout ça, ce n'est pas une excuse. Que quand un frère est content de savoir que sa sœur a survécu, grâce à lui en plus, il ne l'embrasse pas. Encore moins comme il l'a fait, lui. Parce que Nora ne l'a pas imaginé, la passion qu'il y a mis. Qu'il lui dise tout ce qu'il veut, ce n'est pas anodin. Et alors, si elle n'arrive pas à se contenter de ça, pourquoi cherche-t-elle donc à entendre ses justifications, hm ? Si elle n'arrive pas à faire avec, toute cette conversation est inutile. Mais tout ça, ce n'est pas le pire. Non, le pire, c'est ce que Caïn ose ensuite lui dire. Rabaissant Nora au possible en ajoutant qu'il ne l'a pas voulu. Peut-être que ce sont les nerfs qui lâchent, peut-être qu'il est en train de la rendre complètement folle, mais Nora éclate de rire. Puis reprend son sérieux en s'approchant de Caïn. « Tu ne l'as pas voulu ? T'as pas osé dire ça, si ? Je dois avoir des problèmes de mémoire, oui, ça doit être ça. » Lâche-t-elle en hochant la tête, outrée. « Quand on ne veut pas embrasser les gens, c'est souvent qu'on les attrape par les cheveux. C'est évident. » Souffle Nora, elle qui ne voulait pas entrer dans les détails se retrouve à foutre les pieds dans le plat. L’ascenseur émotionnel dans lequel son frère l'a enfermé est à mettre en cause. « Mais t'as raison, Caïn, je dois arrêter de faire l'enfant. » Elle secoue la tête, le ton venimeux, enragée par l'attitude de son frère.

Il tente de rentrer dans son esprit, de nuancer ses doutes et d'y inclure de nouvelles couleurs, plus vivaces. Il ne la pas voulu. Il ne s'est pas passé ce qu'elle a cru. Elle a trop analysé la chose, voilà tout. C'est normal pour certains. Mais étrangement, c'est un éclat de rire qui accompagne ses propos. Haussant un sourcil, Caïn attend alors, patient. Et il constate qu'il a peut-être sous-estimé celle pour qui son cœur bat. Ce qui s'avérait être un jeu d'enfant devient peu à peu un véritable labyrinthe. Nora aussi a grandi, et avec elle, bien des teintes se cachent, nuancent sa palette sans que son frère ne puisse en voir toute la splendeur, toute l'étendue. Comme une muse qui lui tournerait le dos pour parfois laisser entrevoir un profil, elle lui échappe peu à peu. Et sa réaction lui explose la vérité au visage, lui qui voulait croire avoir encore en main toutes les ficelles de ce joli pantin. Plus maintenant. S'approchant de lui, reprenant son sérieux, Caïn la contemple avec méfiance. Que pense-t-elle? Que croit-elle comprendre? Parfois, il aimerait être réellement dans sa tête. Mais il n'en ai rien. Alors il attend qu'elle daigne prendre la parole. Et lorsqu'elle le fait, les mots le giflent presque.

Indignée, elle ne le croit pas. Du tout. Soit. Qu'en pensait-elle alors? Se sentant acculé, il rebondit. « La colère et la peur d'avoir perdue ma sœur, c'est pas assez comme explication pour toi? » balance-t-il du tac-au-tac. « Très bien. » Son regard toujours braqué dans les iris chocolat, sa main remonte pour venir frôler le cou, se frayant un passage dans la chevelure brune. Lui empoignant doucement les cheveux, il rompt alors le peu d'espace qui les séparait encore. « T'ai-je tenu avec autant de douceur? » lui demande-t-il, leurs visages proches. « T'ai-je lancé un regard éperdu d'âme en détresse? » continue-t-il, sa main libre venant se poser sur le haut de ses hanches. Et son visage se glisse jusqu'à son oreille: « Ma pauvre sœur, tu as les idées complètement perverties. » souffle-t-il, ses mains se désemparant d'elle alors qu'un sourire mauvais file, étirant ses lèvres. Ne le connaissait-elle pas mieux? Caïn avait toujours ce qu'il voulait. Et si elle refusait de le croire, il comptait bien l'en persuader. Elle avait rêvé la passion dans cet échange. Elle avait vu de la chaleur là où il n'y avait que rage et peur. Elle avait rêvé l'amour là où il n'y avait que doutes et volonté d'évincer. Il n'avait pas voulu l'embrasser, tout comme il avait refusé de la frapper. C'était juste..arrivé.

Si Nora cherche autant à comprendre, ce n'est pas seulement dû à l'acte de son frère. C'est aussi parce qu'elle l'a laissé faire. Alors elle se dit peut-être dans son fort intérieur que si elle arrive à comprendre le geste de Caïn, elle comprendra de fait sa réaction. Réaction qui n'en était pas vraiment une, puisqu'elle n'a su quoi faire. Le souvenir est bien trop présent, bien trop ancré dans son crane pour qu'elle arrive à en oublier les images, comme si elle était une tierce personne observant la scène. Spectatrice qui cherche à comprendre d'où est survenu ce revirement de situation. Au final, il aurait mieux fait de la frapper ce jour-là, au moins, il n'y aurait pas eu un tel débat et elle aurait sûrement arrêté de l'ignorer bien avant. Sauf qu'avec tous ces non-dits et avec toutes les phrases à la con que son frère lui jette au visage, la brune se surprend elle-même en l'attaquant sans tourner autour du pot. Prête à lui rentrer dedans verbalement si elle ne peut le faire physiquement. La rage d'être rabaissée une nouvelle fois par les paroles de l'homme en face d'elle qui sait s'y prendre. Il est sans aucun doute beaucoup plus doué qu'elle, mais Nora n'a pas envie d'abandonner le combat aussi facilement, même si elle doit en sortir plus en colère qu'autre chose.

Si Nora se croyait être un adversaire de taille, c'est parce qu'elle a oublié que Caïn a toujours été plus fort qu'elle à ce jeu-là. Sa réaction la surprend, encore plus quand elle sent ses doigts frôler son cou pour se retrouver dans ses cheveux. Comme la dernière fois. Ou presque. Ça manque de passion. De spontanéité. Il s'approche encore un peu plus d'elle, probablement prêt à passer à l'attaque. La seule chose qui semble être totalement identique à la dernière fois, c'est la réaction de Nora. Incapable de bouger. Non, elle se laisse faire, tandis que son frère continue, venant poser sa main sur sa hanche. L'assaut physique n'est pourtant pas le seul à avoir lieu. Non, il vient la provoquer verbalement, comme toujours. Il le fait si bien. Nora ne dit mot, pas prête pour rompre le contact. Parce qu'au final, elle en revient à la même conclusion que la dernière fois : si elle le repoussait, le problème serait réglé. Mais elle ne le fait pas. Pourquoi ? Bonne question. Si elle a la réponse, elle préfère l'ignorer.. A la proximité de leurs visages, la brune baisse les yeux, parce qu'elle n'a pas envie d'affronter le regard de son frère alors que ça se bouscule dans sa tête. Et pourtant, la douche froide s'abat sur elle brutalement alors que Caïn enfonce le couteau dans la plaie, retirant ses mains l'instant d'après. Nora lui en veut, s'en veut à elle aussi et la seule réponse qu'elle a face à tout ce bordel qui l'assaille, c'est la violence. Sa main vient brusquement gifler la joue de son frère et Nora fait un pas en arrière l'instant d'après. Choquée. La faute à qui ? A tous les deux, parce que dans les familles normales, les gens n'ont pas besoin d'avoir ce genre de discussion. « Aussi pervertie que toi. » Crache-t-elle, pas désolée pour un sou, prête à subir les conséquences s'il y a.

Il l'achève de ses mots, de ses gestes, presque froids tant ils sont calculés. Pourtant Caïn brûle à cet instant. Brûle de désir, se concentre pour contrôler ses moindres mouvements, ne pas lui donner quelque image qui le trahirait, lui et ses intentions. Il l'attire dans ce piège dont elle ne cherche même plus à se débattre. Elle a lancé les hostilités, et lui y fait honneur. Et quand bien même il se retient, elle ne lui semble pas bien réticente pour quelqu'un tentant de prouver que le comportement de son frère est anormal. Pourquoi ne pas l'arrêter? Pourquoi ne pas lui dire, tout simplement? Ses lèvres arrivent à son oreille, murmure doucereux et bouillonnant de mensonges. Soufflant le chaud et le froid, il ôte ses mains, esquisse un sourire. Et une gifle vient lui répondre, scindant l'air. Une seconde passe. Puis deux. La belle recule alors que Caïn réalise. Son sourire perdu renaît, doucement, alors que son regard vient se poser sur sa sœur. « Peut-être. » souffle-t-il en réponse. Passant une main dans ses cheveux, il soupire. « Est-ce que ça veut dire qu'on est quittes..ou tu vas encore bouder notre tente ce soir? » demande-t-il, plaisantant.

Là, Nora n'est plus très sûre de la raison de sa colère. Et elle n'a pas envie de trop chercher non plus, parce qu'elle sait très bien qu'elle ne va pas apprécier les réponses qu'elle pourrait trouver. Les quelques possibilités qui s'offrent à elle ne sont pas vraiment agréables. Comme le fait qu'elle est en colère parce qu'elle a l'impression de s'être faite rejetée ? Alors que c'est complètement illogique, parce que c'est beaucoup mieux comme ça et beaucoup plus clair. Nora, en plus de vouloir retrouver son déni confortable, se rend compte que Caïn a gagné. Elle en a oublié son interrogatoire et ne veut même plus savoir le pourquoi du comment. D'ailleurs, elle met un peu de distance entre eux après la gifle qu'elle lui donne, histoire d'installer un périmètre de sécurité au cas où. Même si elle n'a pas vraiment peur de lui de ce point de vue là, les coups, il ne les rend pas physiquement. Et si elle se prépare à une remarque fortement désagréable, son frère la surprend en esquissant un sourire. Revirement de situation inattendu, face à un Caïn de nouveau décontracté. Osant même lui demander si elle va continuer de bouder en dormant ailleurs. Incroyable. « Je sais pas. » Lâche-t-elle les bras croisés, avec une forte envie de lui faire un doigt d'honneur, parce que c'est beaucoup trop facile. Nora se méfie, se demandant s'ils passent réellement l'éponge sur cette conversation. « J'ai pas dû te manquer vu que tu me faisais toi-même la tête y a encore quelques minutes. » Est-ce qu'elle fait la difficile ? C'est possible.

Il se demande, et à juste titre. Il en veut peut-être au monde entier de ne pouvoir la posséder. Mais il est persuadé d'une chose ; c'est bien de cette folie qui l'habite à peine ses yeux se posent sur elle. Et la voir si loin, par sa faute à lui, est une douleur qui enfle dans sa poitrine, lui entrave la respiration. Si elle pouvait lire ses pensées, elle comprendrait qu'il n'y a là dans le ténébreux reflet de ses yeux, qu'un adolescent quémandant le retour de l'aimée. De celle dont il voudrait faire son amante. Et bien plus encore. Caïn a beau avoir la rage au cœur et le feu aux doigts, il n'en montre pas moins, tentant de refréner ses ardeurs. Car c'est au tour de la brune de se jouer de sa volonté, lui jetant un seau d'eau au visage à peine la gifle passée. « Détrompes-toi.. » lui souffle-t-il, remettant une mèche de cheveux derrière les oreilles de la belle. S'écartant quelque peu du sentier, il ouvre grand un bras, présentant le chemin du retour avec jovialité. « Si Madame veut bien se donner la peine.. » Et il sourit, comme si le ton n'était jamais monté entre eux. Comme si toute cette querelle n'avait jamais existé. Comme s'ils étaient véritablement frères et sœurs et rien d'autre. Mais dans son esprit, alors que le regard s'abstient de couler vers les formes divines, Caïn le sait bien. Il n'en sera jamais ainsi. Pas pour lui.