[LOST] Because of you ϟ Nora

Jour 3

Nul. Il avait été parfaitement nul. Aidan avait l'habitude de dealer, embobiner les gros durs, casser la gueule des petits cons, conduire de grosses voitures et draguer un paquet de filles. Mais se retrouver dans la jungle avec une machette et un sanglier aux trousses, ça, ce n'était pas habituel. Les lianes lui avaient semblé judicieux, et s'il savait que sauver son cul sans penser à la princesse d'abord était égoïste, lâche peut-être, ce n'en était pas moins intelligent. Cette fille-là il la connaissait depuis quoi..quelques heures? Pourquoi risquer sa vie pour jouer les héros avec une inconnue? Oui, il avait paniqué. Oui, il avait pensé à lui d'abord. Mais quel idiot pourrait prétendre en faire autrement? Lui était pragmatique, et rester en vie lui semblait un bon objectif. Alors, pourquoi se sentait-il mal? Comme si sa conscience se réveillait après tant d'années, titillée par le souvenir de ce premier jour.

Cela fait deux jours déjà qu'Aidan rumine ces pensées. Mais plus encore que son comportement individualiste, que ses mauvais réflexes dus à la panique de la situation, c'est un tout autre souvenir qui le hante. Cette image, de celui qu'il pensait ne plus avoir à considérer comme son rival. Celui-ci même, tirant sur la bête, s'interposant sans une once d'hésitation. Pas qu'il l'admire, pas qu'il trouve le geste héroïque - il l'est, tout autant qu'il se trouve être stupide, de son point de vue. Le geste était justifié, puisque les deux avaient des liens de sang. Et c'est justement ce point qui l'emmerde bien, à Aidan. Ce regard, ce coup au visage..ce baiser. Une fratrie? Il en doutait désormais. Du moins pas de celle, normale, qui s'arrête à la protection et à l'amour fraternel. Là, c'était autre chose, il le sentait. Quelque chose de puissant, une détermination manifeste ; un amour malsain. Et le regard qu'avait eu le jeune homme le terrifiait encore, quelque part. Comme s'il ne luttait pas pour une femme, mais pour lui-même. Etait-elle à ce point importante à son être?

Aidan avait l'impression de s'égarer, n'ayant jamais eu à réfléchir de la sorte. Un joint, il lui en fallait un, rapidement. Or celui-ci se trouvait être avec sa valise, dans la soute. Donc avec l'autre moitié de l'avion, sans doute écrasée sur une autre plage, ou dans la jungle. Bref, pas ici. Il croise alors un regard alors qu'il arrivait enfin à penser à autre chose. Mais la réalité le rattrape. Et c'est les yeux de Nora qu'il accroche, s'arrêtant d'un bloc en la voyant à plusieurs mètres de là. Doit-il aller lui parler? Son frère va-t-il débarquer? Ont-ils... Aidan ne veut pas y penser. Alors il attends là, bras ballants, trop hésitant pour prendre une décision, sachant bien qu'il sera obligé d'aller lui parler un jour ou l'autre..pourquoi pas maintenant?

Trois jours qu'ils sont sur cette île, coincés entre la plage et la jungle. Ça fait aussi trois jours que son frère l'a embrassé. Trois jours que Nora l'évite. Nora est perdue, elle rumine ses pensées sans arrêt, revoit le moment où Caïn a agrippé ses cheveux avant de l'embrasser passionnément, trop passionnément. Cette scène, elle la visualise non-stop comme si elle était spectatrice. Ça la rend folle. Elle veut arrêter d'y penser, parce que dés que son regard croise celui de son frère, elle ne sait plus où se mettre. En réalité, elle aurait préféré qu'il la frappe. Ça aurait été moins dur à gérer. Putain, elle n'arrive même plus à lui parler, se contentant de signe de tête ou de geste de la main pour communiquer avec lui. Même si elle préfère simplement rester dans son coin. Son père l'en empêche, lui demande de les aider, comme si ça ne se voyait pas qu'elle avait autre chose à foutre. Mais Nora est coincée ici, qu'elle le veuille ou non. Elle n'a pas d'autre choix que subir en silence. Certes, elle pourrait aller se promener seule dans la jungle, sauf qu'elle n'a pas envie que l'histoire recommence.

Pourtant, Nora a l'esprit vif, un peu trop peut-être. Discrètement, elle s'échappe du camp, s'éloigne sur un coin isolé de la plage. Elle veut arrêter de penser, ne serait-ce que pendant une heure. Ce serait toujours ça de pris. Sinon, elle va devenir folle et Nora n'a pas envie de s'afficher devant tous les autres. Parce que dans le fond, Nora a honte. Honte, parce qu'elle n'a pas repoussé son frère alors qu'il y avait un témoin. Honte, parce qu'elle a beau vouloir en penser ce qu'elle veut, elle n'a pas détesté ce baiser. C'est toutes ces pensées-là qui pèsent sur ses épaules et l'étouffent lentement. Assise sur un morceau de bois pas très fiable, Nora rouvre les yeux, vérifiant qu'elle est toujours toute seule. Et ce n'est pas le cas, un peu plus loin, y a Aidan. Leurs regards se croisent et Nora prend sur elle. De toute façon, elle ne lui en veut plus à lui. Il a essayé de sauver sa peau et elle aurait fait exactement la même chose à sa place.

Sauf qu'en marchant doucement vers elle, là, il devient une victime facile. Nora a les nerfs en pelote, ce n'est pas le moment de venir la voir, ni le moment de lui adresser la parole. Faut juste la laisser tranquille, la laisser respirer. Pourtant, elle en a marre d'être en colère contre elle, son frère et les autres. Nora se lève, retrouve Aidan à mi-chemin et s'arrête devant lui, les bras croisés sous sa poitrine. « Qu'est-ce que tu me veux ? » L'agresse-t-elle, parce qu'elle est sur la défensive. Elle n'a pas envie de se faire juger, pas envie de parler de l'autre jour. Nora réfléchit pendant un moment, son regard ancré dans celui d'Aidan. Elle comprend alors quelque chose : même s'il n'a rien dit pour l'instant, il peut très bien le faire si elle l'agresse et l'envoie bouler. Ce serait facile d'aller dire aux autres que les deux Carter sont bizarres. « Désolée, je suis sur les nerfs. » Certes, c'est un euphémisme, mais qui va le lui reprocher ? Elle n'est pas calmée, mais s'il ne vient pas pour l'énerver, ou pire, lui parler de son frère, ça peut bien se passer. Enfin, c'est ce qu'elle espère.

Aidan ne sait plus où se mettre. Et alors que la tornade s'avance, lui a l'impression de s'enliser dans sa propre gêne. Que dire, que faire. Il devrait s'excuser pour bien des choses, ne l'a pas fait sur le moment, trop choqué pour dire quoi que ce soit. Et maintenant..maintenant cela semble bien futile, idiot même. Pourtant, ce n'est pas comme s'ils étaient cinquante sur cette plage. Certes il y avait quelques autres jolies dames, mais c'était la brune qui avait captivé la première son regard. Et la situation étrange, originale même dans laquelle elle il la trouvait ne pouvait qu'occuper ses pensées. Elle l'intriguait. Mais alors qu'elle l'agresse, l'innocence de l'homme quitta son cœur, ses sourcils se fronçant. S'excusant automatiquement après, l'homme se ravisa de s'emporter, pourtant près à le faire. Certes, il n'avait pas géré dans la forêt, mais il n'avait pas non plus révélé leur secret malsain. Ne lui avait pas tenu rigueur de cette gifle reçue, de ces mots acerbes prononcés.

Ravalant son coup de sang, sa voix s'apaise, bien que son regard ne décolère pas vraiment. « Tu m'en veux toujours pour la bestiole? » lui demande-t-il, les yeux mécontents. « Dans tous les cas, j'étais venu m'excuser. J'aurais dû le faire avant mais.. » C'était bizarre. Cette situation entière. Comment un frère et une sœur pouvaient-ils..? Non, Aidan ne voulait pas l'imaginer. Et il ne saurait dire à cet instant s'il était plus dégoûté par le concept ou par le fait de ne pas être à la place du dit frère. Être mis sur la touche, ce n'est pas un sentiment plaisant. « Enfin, saches que j'ai bien compris le message: je n'approcherais plus...de toute façon des belles filles y en a quelques-unes par ici, c'est pas comme si y avait pas choix. » Et les excuses se changent peu à peu en rancœur transformée, modelée par ses pensées qui malgré tous ses efforts, lui ramènent ce baiser interdit bien en tête. Il ne voulait pas être méchant, ni se comporter en parfait goujat, seulement l'agressivité apparente de la brune avait su échauffer sa patience, déjà bien faible. Qu'elle s'énerve, si ça lui chante! Aidan n'est pas vraiment celui en tord, au fond.

Nora est en colère. Peut-être pas pour les bonnes raison, ni contre la bonne personne. Sauf qu'elle a du mal à faire la différence, ça fait des jours qu'elle bouillonne toute seule dans son coin. Alors évidemment qu'elle agresse la première personne qui s'offre à elle (qui n'est pas un membre de sa famille, évidemment). Elle sait que ce n'est pas une solution, encore moins une bonne idée et pourtant, elle le fait quand même. Le regrette la seconde d'après. Aidan n'est pas la bonne personne, non seulement parce que ce n'est plus contre lui qu'elle a la haine, mais aussi parce qu'il en sait beaucoup, mais n'a rien dit. Nora le remercierait presque si seulement elle ne voulait pas taire le sujet et l'oublier par pure simplicité.

Aidan est énervé aussi, son ton serait censé prouver le contraire, mais son regard le confirme. Si Nora lui en veut toujours pour la bestiole ? Non, elle n'en a plus rien à foutre de ça. À vrai dire, ça a été oublié dans les minutes qui ont suivi. Le "mais" d'Aidan fait remonter le reste à la surface et la demoiselle le vit assez mal, mais elle reste neutre. Enfin, elle prend sur elle surtout, comme d'habitude ces derniers temps. « Je t'en veux plus, Aidan. C'est oublié. » S'il cherchait son pardon, elle lui donne. Puis Nora fronce les sourcils aux paroles de brun, même si elle aurait dû s'attendre à ce genre de réplique. Y a la colère qui remonte à la surface, mais Nora garde son calme même si ses poings se serrent d'eux mêmes. « Ravie de savoir que je ne suis pas la seule dans ton collimateur. » C'est vrai, c'était classe comme remarque. Vexée ? Peut-être un peu. Peut-être même beaucoup. « Je t'ai jamais dit de plus m'approcher, mais tu fais ce que tu veux, Aidan. J'ai d'autres problèmes en ce moment que de savoir qui tu vas aller essayer de draguer. » Nora est froide, trop même, mais voilà, elle n'a pas besoin de se faire rejeter gratuitement. Finalement, peut-être qu'Aidan mérite autant sa colère que les autres.

Que lui reproche-t-elle désormais? Rien que le brun ne saurait comprendre, en tout cas. Selon lui à cet instant, le jeu est remis à zéro. Car malgré tout, il garde cette notion-là, celle de "jeu". Aidan est un compétiteur et comme chacun d'entre eux il n'aime qu'une chose: gagner. Le fait de savoir qu'elle le pardonne? Ça le rassure, un peu, mais il se sent plus comme ayant acquis une chose lui étant déjà due, que lui-même considérait comme quasi évidente: elle aurait fait la même à sa place, il en était persuadé. Sans comprendre les méandre du cerveau de la jeune femme, et des femmes en général, il met les pieds dans le plat.

Il l'énerve, l'agace, ça se voit à ses poings qui se serrent. « Hého, on se calme Princesse! je suis pas venu là pour me prendre un savon! » gronde-t-il, soudain vexé à son tour. Le ton monte bien que les deux tentent de garder leur calme, et une fois de plus, la maladresse d'Aidan ne l'aide pas dans son affaire. « Si t'as une famille de barges c'est quand même pas de ma faute, si? » finit-il par lâcher. Et les mots explosent comme des bombes. Ce n'est pas ce qu'il voulait dire. Ou peut-être que si. A vrai dire, il a l'impression que tout est bien compliqué avec elle. D'habitude, il n'a qu'à rouler des épaules devant sa voiture, allier quelques mots à sa langue pour charmer les donzelles et cela suffit à ramener plus d'une belle femme dans son lit. Ici, il n'y a pas vraiment de choix monstrueux quant à la drague. Et si pour certains, ce n'est peut-être pas la priorité, lui ne voit pas d'autre amusement à trouver.

L'alcool? Il n'y en avait pas, ou à un prix exorbitant chez l'autre charognard blond se prenant pour un marchand. La drogue? Il n'en avait plus, perdue dans ses affaires quelque part à l'autre bout de l'île. Si elle n'était pas partie en fumée. Alors oui, le sexe était le dernier des péchés attractifs qui lui restait. Et sur cette plage, avec ces gens, cela semblait bien plus compliqué qu'à Miami. « ..tu sais ce que je voulais dire. » tente-t-il de se corriger, faisant amende honorable. Mais ils savaient tous deux que c'était exactement ce qu'il avait voulu dire, ce que les gens externes à leur petite famille accro au contrôle voyaient. Entre son père se prenant pour Dieu, et son frère à la possessivité exacerbée, Aidan commençait à se demander quelle était la tare qui habitait la troisième icône du foyer infernal. Était-elle manipulatrice? Égocentrique? Faisait-elle délibérément tourner les têtes? D'instinct, il aurait répondu non à chacune de ces questions, mais comment en être sûr. Il ne se connaissaient pas, au fond.

Au final, Nora se remet à se poser des questions quant à la présence d'Aidan. Il ne se rend sûrement pas compte de ce qu'il dit, enfin, c'est ce qu'elle préfère se dire. Pourtant, il parvient quand même à l'agacer, forçant la colère à faire une énième apparition dans la tête de Nora. Y a même pas une minute, elle faisait des efforts, cherchait à calmer la situation avec Aidan et lui, il lui sort des conneries. Qu'il aille chercher quelqu'un d'autre si ça lui chante, mais de là à venir lui annoncer comme si c'était parfaitement normal, il abuse. Alors évidemment que la jeune femme s'énerve. Sa tête est suffisamment dans le brouillard pour qu'il n'ait pas besoin de venir en rajouter avec ses phrases à la con. Aidan réagit immédiatement aux paroles de la brune, s'énervant à son tour. Et alors qu'elle s'apprête à lui répondre sur le même ton, sa bouche se ferme brusquement quand elle entend les mots de l'homme en face d'elle. En plein dans le mille. Nora fronce les sourcils et son regard s'assombrit. C'est donc bel et bien ça le problème du garçon : la famille Carter. La scène à laquelle il a assisté l'a probablement forcé à arriver à cette conclusion. Le premier instinct serait de nier, sauf qu'elle sait qu'il a raison, alors elle reste muette, son regard faisant la discussion à sa place.

Qu'est-ce qu'elle pourrait bien lui dire ? Que sa famille est parfaitement normale ? Nora, elle-même, ne supporte absolument pas son père. Aujourd'hui, elle n'ose même plus croiser le regard de son frère. Alors non, elle ne peut pas lui dire qu'il a tort, sauf que si elle a l'air plus en colère qu'autre chose, elle est surtout blessée. C'est une chose de le penser, ça en est une autre de l'entendre de la bouche de quelqu'un d'autre. Et Aidan s'enfonce en essayant d'apaiser ses propos. « C'est bon ? T'as dit ce que tu pensais, tu te sens mieux ? » Le ton est sarcastique et toutes les émotions qu'elle a voulu garder au fond d'elle ces derniers jours ressortent à travers son agressivité. « En plus, t'ouvres ta bouche, mais c'est de ta faute. Pourquoi tu m'as demandé de venir avec toi ? Si je t'avais pas suivi, rien de tout ça ne serait arrivé. » Ça, c'est parce qu'elle est dans le déni, elle préfère se dire que son frère a fait ça sous le coup de l'émotion. Et il n'aurait pas ressenti ça si elle n'avait pas failli mourir. Et elle n'aurait pas failli mourir si elle n'avait pas suivi Aidan. CQFD. Nora  sait très bien que son argument n'est pas valable : Aidan ne l'a pas forcé, c'est elle qui a choisi d'aller dans la forêt avec lui au lieu d'attendre Caïn. Quand bien même, elle préfère l'accuser, même si elle se met à le regretter l'instant d'après. « Oublies ce que j'viens de te dire, Aidan et par la même occasion, va te faire foutre. » Ce n'est pas dans ses habitudes d'insulter les gens qu'elle ne connaît pas, sauf que ça va, la brune a eu sa dose. Peut-être qu'elle a envie de le mettre en colère à lui aussi, quitte à ce qu'il continue dans les phrases assassines. Après tout, ça lui donne une raison de faire relâcher toute la pression qu'elle a gardé ces derniers jours.

La brune a gros sur le cœur et les piques pleuvent à son tour, dépassant ses pensées. Ou peut-être était-ce bien que les deux vident leur sac l'un envers l'autre, se crachant tous ces mots qui les blessent, ces mots qu'ils ne voulaient pas, mais avaient besoin d'entendre. « Parce que je t'ai forcé peut-être? C'est la meilleure! » s'exclame-t-il, riant jaune, complètement abasourdi par la mauvaise foi de son interlocutrice. « Tu sais quoi? Restes là à t'apitoyer sur ton sort, j'en ai marre. J'ai essayé d'être sympa avec toi, mais putain j'ai l'impression qu'à part blâmer les autres y a pas grand chose que tu saches faire. Tu m'accuses d'être le problème de tous tes maux, mais je doute que ceux-ci durent depuis quelques jours seulement. Et quant à ma lâcheté, excuse moi de ne pas être aussi chevalier servant que ton stupide frère, je tiens trop à ma vie pour me jeter face au danger. Donc si tu veux continuer à être dorlotée, vas-y, cours le retrouver! J'en ai ras le casque de cette culpabilité alors que n'importe qui aurait fait pareil. » Aidan explose, déballe tout son sac devant la pauvrette, incapable de dire quelle va être sa réaction. Reprenant son souffle, il la contemple, des éclairs toujours dans les yeux. Mais plus de colère, pourtant. Seulement de la déception. La déception de ne même pas pouvoir entrer en compétition avec l'autre abruti, d'être écarté du terrain avant même de pouvoir prouver sa valeur. A croire qu'un sanglier suffit pour vous mettre hors jeu.

Blessé dans son égo, ne trouvant nulle âme sur cette maudite plage qui daigne s'intéresser à lui, ne serait-ce qu'un peu, il pète alors un boulon, sautant aux conclusions hâtives. « Tu sais quoi? J'me tire. Bon courage avec tous ces bouseux assis le cul sur la plage. J'en ai marre de me faire regarder de haut par des gens qui n'ont pas même le courage de faire autre chose que du sur place. » Ses yeux se font déterminés alors qu'il se tient face à elle. Oui, il s'en va. Il va vraiment le faire. Et sans personne pour l'accompagner. Parce qu'Aidan, s'il ignore bien les dangers qui l'attendent, en a marre d'être considéré comme la mauviette qui a su sauver sa peau. Un vrai citadin confronté à la Nature, raillé par des gens qui n'osent même pas faire la moitié de ses propres pas. Non vraiment, ils ne sont qu'une bande d'hypocrites, tous autant qu'ils sont. Se rassérénant quelque peu, bien que toujours affecté par ce pseudo-rejet, il lance: « Bonne chance, Princesse. » Et il tourne les talons, se dirigeant vers sa tente pour récupérer son peu d'affaires.

Si Nora cherchait à l'énerver, c'est chose faite. Elle reste droite devant lui, le laisse vider son sac. Il en a sûrement autant besoin qu'elle. Donc elle ne dit rien, se contente de l'observer et même son regard se calme un peu. Les paroles d'Aidan résonnent dans la tête de la brune, parce qu'il n'y va pas de main morte, la forçant à se remettre en question qu'elle le veuille ou non. Il n'a pas tort et elle pourrait lui dire de se calmer, qu'elle ne pensait pas ce qu'elle vient de dire, sauf qu'aucun des deux n'a l'air vraiment doués avec les mots. Au contraire, à croire que la situation est aussi pesante pour les deux. Nora baisse les yeux l'espace d'une seconde avant de revenir affronter le regard d'Aidan. Puis alors qu'il a terminé et que la demoiselle ne sait plus quoi dire, un peu trop surprise, le brun s'énerve tout seul, lui annonçant son départ imminent. « Quoi ? » La question part toute seule, parce qu'il ne va pas sérieusement le faire ? Bonne chance ? Elle le voit qui lui tourne le dos pour repartir vers le campement.

Dans d'autres circonstances, elle aurait pu le laisser faire. Sauf que ce n'est pas le genre de la brune, incapable de le laisser faire quelque chose de complètement stupide juste pour prouver quelque chose. Alors Nora le rattrape avant de lui attraper le bras pour l'empêcher d'aller plus loin. « Aidan, calme-toi, je suis désolée. » Peut-être que c'est un peu tard pour lui servir des excuses, mais il vaut mieux tard que jamais, pas vrai ? « Je vais pas te forcer à rester, tu fais ce que tu veux, enfin t'es un adulte et t'as le droit de faire tes choix, mais je pense pas que tu le ferais pour les bonnes raisons, là. » Nora tente de le raisonner, sans pour autant avoir l'air moralisatrice. Après tout, elle déteste quand son père la force à faire quelque chose, alors elle ne veut pas faire subir le même genre de discours aux autres. S'il veut réellement partir, qu'il le fasse, mais partir sous le coup de la colère ? Ça ne semble pas être la meilleure idée à la brune. Quitte à ce qu'il l'envoie se faire voir, comme elle il y a quelques minutes, elle tente quand même de le faire revenir sur sa décision.

Il en a marre. Marre de ce camp. Marre ces gens. Marre de ces putains de circonstances le privant de tout amusement. Il se fait chier, et quitte à devoir mourir sur cette île, autant le faire en essayant quelque chose. Aidan n'avait jamais été couard et il allait le leur prouver, à tous. Ah il voudrait bien voir leurs têtes, lorsqu'il leur racontera qu'il s'est trouvé un petit Paradis de l'autre côté de l'île. Ou lorsque ce sera lui qui amènera les secours à ces têtes d’œufs congelées. Nul ne sait prendre de décisions, à croire que l'autre prêtre-gourou leur enfume l'esprit. Gourou qui n'était autre que le père de la donzelle convoitée. Et Dieu sait ce que cette famille refroidissaient ses ardeurs. Entre un père qui peut arriver à retourner le cerveau de dizaines de gens, et le fils aussi déterminé que violent, il n'avait pas bien envie de forcer le passage quand même dans le regard de la belle se déversaient le tonnerre des Cieux. Non, très peu pour lui. Il passait son tour.

Mais alors qu'il entame son chemin jusqu'à sa tente, têtu, celle-ci le rattrape, allant même jusqu'à s'excuser. Continuant son chemin, conscient de la traîner malgré elle dans son sillage, quoique ralenti, il finit par s'arrêter non loin de sa tente, fatigué du piètre Mea Culpa. « Y a deux minutes, tu m'accusais de toute ta peine, et tout d'un coup tu voudrais que je reste? C'est quoi le souci, peur de devoir expliquer ça à Papa? T'en as pas assez de toujours obéir au moindre ordre qu'ils te donnent? » lui lance le brun. Face à elle, il lui attrape les mains, doucement, avant de les ôter de son bras. « Tu me plais, Nora. Mais je peux plus. Je peux plus rester sans rien faire alors que personne ici ne me considère, que personne.. » Mais sa phrase reste en suspens, malgré lui. Ici, c'est soit blanc soit noir. Tu rentres dans le rang, ou t'es mis à part. Et lui n'a jamais été très doué pour rentrer dans les moules.

C'est rarement agréable de se faire bousculer verbalement, mais parfois, ça ramène un peu sur terre. Faut aussi admettre que c'est la seule vraie conversation que Nora a avec quelqu'un depuis trois jours, alors forcément, elle ne peut qu'admettre qu'il a raison et se faire à l'idée qu'il n'a pas tort. Ce n'est pas pour autant qu'elle compte changer son comportement avec son frère, non, mais Aidan, lui, n'y est pour rien dans cette histoire. Au contraire, il s'est retrouvé coincé au milieu de quelque chose qui ne le concernait pas malgré lui. Sauf que ce n'est pas une raison pour prendre ses affaires et partir. Ce n'est pas qu'elle doute de ses talents de survie, mais elle ne croit pas qu'il tiendra très longtemps dans la jungle.

Le brun continue dans ses piques verbales et vient ensuite retirer doucement la main de Nora de son bras. Et cette dernière se défend. « C'est pas la question, Aidan. T'en as marre de mon père au bout de trois jours ? Ça fait 25 ans que je l'ai sur le dos, j'ai appris à me boucher les oreilles et à l'esquiver. » Enfin, de manière générale, elle laisse Caïn écouter à sa place et se contente de hocher la tête. « Je veux pas que tu partes, parce que je ne crois pas que ce soit une bonne idée et même si, parfois, tu m'énerves, ce n'est pas pour autant que j'ai envie de retrouver ton cadavre dans la jungle. » Nora soupire et se mord la lèvre, sincère. Puis Aidan s'explique un peu, forçant la brune à hausser un sourcil. Elle mord sa lèvre un peu plus fort pour se retenir d'afficher un sourire amusé, histoire de ne pas l'énerver à nouveau. « Tu me plais aussi, Aidan, mais ce n'est pas en partant que les gens vont te considérer plus. » Autant être à la fois honnête et réaliste. Même s'il ne semble pas avoir l'idée de s'en aller pour la première fois, il a l'air d'y avoir déjà pensé, mais ce n'est pas pour autant que Nora va le laisser faire sans essayer de le ramener à la raison...

Marre de son père? A vrai dire, ce n'était pas la première personne à laquelle il aurait pensé, bien que le vieux ne lui donne pas une très bonne impression. Réprimant une légère grimace, il ne dit mot, ne voulant pas envenimer plus que ça la discussion. De toute façon pour lui, celle-ci est close. Et quand bien même le mot 'cadavre' lui insuffle un soupir de doute, il n'en montre rien. « Tu as raison.. »  Un sourire en coin file sur ses traits. L'homme tend la main, attrape le menton de la brune et l'approche de son visage. « C'est en revenant. » souffle-t-il. Et ni une, ni deux, il entre dans sa tente, plus décidé que jamais. Elle peut toujours lui faire la morale, lui n'a que faire de ses sermons. Il lui plait? Parfait. Elle ne sera que plus heureuse de le voir revenir alors, peut-être même voudrait-elle l'accompagner, qui sait? Non. Il a bien vu son incapacité à la protéger là-bas. Qu'il pense à sauver sa peau, c'était suffisant. Il n'était pas capable d'assurer savoir protéger la jeune femme. Pas bien sûr non plus de vouloir l'entendre lui poser des questions dérangeantes. Ce qu'ils partaient chercher, notamment. Non, Aidan ferait route seul, c'était décidé. Et alors qu'il fourrait ses rares affaires dans son sac - un couteau, une gourde d'eau et un sweat - il se demanda ce qui pouvait bien l'attendre au dehors. Anxieux, il essayait de ne pas penser aux dangers qui pouvaient rôder, aux bestioles probablement dangereuses qui le guetteraient. Vérifiant dans la poche de son jogging s'il avait bien son briquet, il hocha la tête, prêt à prendre le large.

Aidan veut partir, comme si partir allait résoudre le moindre de ses problèmes. Et si les secours arrivaient pendant qu'il était paumé dans la jungle ? Mais le fait est que Nora ne compte pas non plus le supplier d'être raisonnable. Il est assez grand pour savoir ce qu'il doit faire, non ? D'autant plus qu'elle a l'impression qu'il cherche juste à obtenir une certaine reconnaissance des autres et elle n'est clairement pas en mesure de lui offrir ce qu'il cherche. Sauf que Nora soupire de soulagement quand Aidan lui dit qu'elle a raison. Putain, c'est bon à entendre. Rassurant, surtout, de savoir qu'il ne va pas être retrouvé en pièces dans les prochains jours. Alors qu'elle s'apprête à dire quelque chose, Aidan lui attrape le menton et approche son visage du sien et Nora se laisse faire sans réfléchir. Enfin, jusqu'à ce qu'il confirme en fait son entêtement, poussant la brune à repousser sa main, les sourcils froncés. « Tu crois qu'ils vont te décerner une médaille SI tu reviens ? » Elle hausse le ton, mais juste suffisamment pour qu'Aidan comprenne que son plan est débile. Malheureusement, le bonhomme est déterminé, récupérant ses affaires dans sa tente, prêt à réellement se barrer. « Tu te rends compte que ton idée est complètement stupide ? T'as pensé à t'amener à boire ? Quelque chose à manger ? Et tu vas dormir où ? Sur une branche ? » Nora essaie tant bien que mal de lui faire réaliser la précarité dans laquelle il va vivre, vu que lui parler des dangers de mort qu'il va encourir n'est clairement pas suffisant.

Elle le harasse de questions qu'ils savent tous deux sans réponses, d'injonctions et de jugements visant à le faire changer d'avis. Mais, buté, le brun se conforte dans son idée à mesure que la gracieuse tente de l'en défaire. Levant les yeux au ciel, il ne peut laisser échapper un petit sourire. S’inquiéterait-elle pour lui? Tu lui plaît, lui conforte une petite voix, son ego s'enivrant de cette pensée. Sortant de la tente, il la rejoint. « Tu t'es pris pour ma mère? » plaisante-t-il. « Vous les filles avez vraiment un don pour les sermons. » Il secoue la tête, un rictus mi-moqueur, mi-amusé ancré sur les lèvres. Un instant passe, ses yeux accrochant les siens. Et puis l'homme se baisse, doucement, venant déposer un baiser sur la joue de l'inquiète. Il n'ose trop voler ces lèvres qui semblent appartenir à un autre. Il n'ose cependant faire le fier au point de tourner le dos à celle qui a ravi ses yeux. « Fais attention à toi, Princesse. » souffle-t-il. Jetant son sac sur une épaule, il recule de quelques pas, le regard toujours fixé sur la belle avant de tourner définitivement les talons.

Il ne savait pas dans quoi il s'embarquait, ne savait pas non plus s'il reviendrait vivant de son entêtement. Mais il savait une chose: il ne mourra pas d'ennui. L'aventure, ça fait peur, ça fout les jetons même. Aidan, il est pas sûr du tout de ce qu'il fiche. Mais à mesure que la jungle se rapproche sous ses yeux anxieux, il sent l'adrénaline monter elle aussi. Un semblant de drogue. Une seconde chance de ressentir quelque chose d'un peu plus fort que des mots abrupts. Il n'a pas l'habitude de côtoyer Mère Nature, mais il est un adepte des situations à risque. La Mort, il l'a frôlée un paquet de fois dans sa vie, a failli lui tomber dans les bras plus d'une fois, et quand bien même, il est là, debout, respirant toujours. Il ne mourrait pas sur cette île. Pas maintenant. Pas comme ça. Et il se le répétait pour mieux s'en convaincre, se donnant du courage. « Aventure: me voilà. » susurre-t-il pour lui-même. Et la silhouette disparaît alors parmi les arbres, la peur en fête, le cœur en feu.

Nora exagère, devrait se mêler de ses affaires, mais c'est plus fort qu'elle. Malheureusement, tous les arguments qu'elle utilise n'ont pas l'air de faire mouche, au contraire. Aidan est déterminé et la brune espère juste qu'il finira par revenir vivant. Cela dit, elle ne peut pas s'empêcher de douter de ses capacités de survies dans la jungle. Certes, elle ne connaît pas sa vie, mais au vu ce qui s'est passé l'autre jour, il a l'air aussi perdu que tout le monde ici. « C'est juste qu'on réfléchit beaucoup plus que vous. » Lui répond-t-elle en haussant les épaules tandis que son regard vient croiser celui de l'insouciant. Aidan l'embrasse sur la joue et Nora croise les bras sous sa poitrine, agacé, boudant presque de ne pas avoir réussi à le ramener à la raison. « Toi aussi. » Il aura plus besoin de faire attention qu'elle, c'est clair et net. Quand Aidan finit par lui tourner le dos, la brune soupire, avant de repartir dans son coin pour éviter les autres. Elle n'est vraiment plus d'humeur à être sociable, encore moins maintenant qu'une des personnes qu'elle appréciait vraiment vient de partir prouver au monde sa bravoure en allant dans la jungle en solitaire. Stupide.